l’avis de Michel Humbert

dimanche 26 août 2007 10:20 par Pascaline Marion    

Directeur du Palace (Metz) et de trois Caméo (Metz et Nancy)

Un boulot d'enfer !
Michel Humbert est devenu le personnage incontournable du cinéma indépendant régional. A Metz, puis à Thionville, il tâche d'appliquer les recettes qui ont fait le succès du Caméo, à Nancy.



A Hayange, le Palace va devenir une salle de spectacles polyvalente. Pourquoi le ciné est-il en berne ?
La sociologie y est particulière : une vallée de la Fensch en crise économique qui se dépeuple et vieillit, et l'installation de Kinépolis à Thionville et Utopolis à Longwy. Sans connaître la situation en détail, je dirais que lorsque les multiplexes s'installent à proximité, on est obligé de faire ce qu'il faut pour rester désirable… notamment aux yeux des jeunes qui les fréquentent beaucoup ! Il ne fait aucun doute que les multiplexes, de par leur poids, leur communication, leur désir d'engranger des spectateurs, pèsent lourd par rapport au cinéma artisanal. Si l'on veut que notre type de cinéma indépendant existe toujours, il faut se remuer et mobiliser suffisamment.

N'est-ce pas se battre contre des moulins à vent ?
C'est en effet très compliqué car, dans le contexte actuel, la salle de cinéma n'a plus l'exclusivité du film. Celui-ci semble disponible n'importe où, n'importe comment, sur n'importe quel support… Evidemment, il n'y a aucun rapport entre un écran de portable, une télévision et un écran de cinéma ! Mais, dans une société consumériste comme la nôtre, il est parfois important de participer au mouvement général, plutôt que de goûter et de savourer le bon et le beau. Le multiplexe est au cinéma ce que le fast-food est à la restauration.

A Nancy, puis à Metz, vous vous êtes " battus " contre ces multiplexes : qu'avez-vous à leur reprocher, au juste ?
C'est vrai qu'au démarrage, les multiplexes ont donné une image plus moderne du cinéma. Mais ils ont drainé des spectateurs vers des lieux plus que vers des films… Dès lors, ils ont fait autant de mal que de bien.
Aujourd'hui, les gens ne vont plus au cinéma régulièrement, ils y vont au coup par coup : ils ne risqueront de l'argent que sur les films dont ils sont sûrs, même s'ils sont souvent déçus.
Aujourd'hui, le conditionnement médiatique rend le spectateur de moins en moins curieux, de plus en plus passif. Or c'est dans le risque et dans la non-connaissance de qu'on va découvrir que se trouvent le plaisir et l'intelligence.

D'après vous, les gens iraient moins au cinéma que par le passé ?
De fait, il y a moins de personnes qui vont voir des films en salle qu'il y a trente ans. Les multiplexes ont créé peu de nouveaux spectateurs. En revanche, ils ont engrangé une fréquentation accrue de ceux qui vont au cinéma : ceux qui y allaient une fois par mois avant, y vont désormais 5, 6 fois. Le cinéma est une économie assise sur une frange minimale de spectateurs assidus.

Les gens sortent moins, et quand ils sortent, c'est en périphérie…
Pas tout à fait, car il y a ce paradoxe : on observe le retour au centre-ville d'une catégorie de gens qui en ont assez des centres commerciaux. Ils veulent pouvoir choisir, vivre, exister… et retrouvent le chemin du petit supermarché, du marché de cœur de ville, mais aussi de la culture et des échanges réels.
A Metz, justement, comment avez-vous contribué au retour des spectateurs vers les cinémas Palace et Ariel ?
Quand je suis arrivé à Metz, en 1998, le Kinépolis avait déjà vidé les salles du centre-ville, sans trop de mal d'ailleurs ! Celles-ci étaient assez peu soignées, les anciens exploitants se contentant de mettre des films à l'affiche. Parallèlement à cela, et au titre de la protection du patrimoine, le maire de Metz a estimé qu'il faudrait le moins de voitures possibles au centre-ville ! Il était devenu quasi impossible d'y rentrer pour éventuellement y stationner sans payer… En additionnant tout cela, on comprend la fuite des spectateurs vers l'extérieur. Par ailleurs, il faut savoir que Metz est une ville dont l'université est récente, qui n'a pas de ventre culturel fort. Le travail " art et essai " à Metz avait été abandonné depuis plus de dix ans. Il y avait un boulot d'enfer pour remonter la pente.

Comment avez-vous procédé ?
Les Messins voulaient des salles refaites, mais pour autant, ils ont aujourd'hui du mal à les fréquenter (l'Ariel a été rénové en 2000, et le Palace en 2003). De 1998 à 2005, on s'est bien défendu. Mais depuis 2005, avec l'accroissement des contraintes et la baisse de fréquentation des cinés au niveau national, ce n'est pas évident…
A Nancy, nous avons fait en sorte de maintenir des salles art et essai en centre-ville : j'ai dû racheter le ciné UGC St-Sébastien, pour en faire un Caméo… et la mairie de Nancy a garanti les emprunts. Ainsi, on a pu faire des travaux de rénovation avant l'arrivée du Kinépolis. Or, à Metz, le Caméo-Ariel appartient toujours à Gaumont. Il serait bon que la mairie rachète les locaux et le fonds de commerce, pour pérenniser le lieu… En 2006, le Caméo de Metz a totalisé 115 000 entrées, alors qu'il en faudrait 125 000. Et le Palace, qui a une programmation plus commerciale, en totalise
221 000, tandis qu'il en faudrait 240 000 ; son potentiel, avec 7 salles, ne s'élève pas au-delà de 300 000.  

A quel niveau faut-il porter les efforts aujourd'hui?
Pour y arriver, il faudrait notamment informer le public sur les parkings accessibles le soir, à certains tarifs. A Nancy, cela fait plus de 10 ans qu'existe la formule " 1 euro les 5 heures ", dès 19 heures : la municipalité s'était engagée à payer le manque à gagner, si cela ne marchait pas. Mais les concessionnaires n'ont rien perdu, au contraire ! Et si à Metz, le maire a annoncé récemment que le parking de la cathédrale faisait des prix plus intéressants (0,50 euros, de 19h à 1h), il aurait mieux fait de négocier avec plusieurs parkings, puis de communiquer largement sur cette formule... Au parking St-Jacques, c'est 0,50 euros, mais seulement à partir de 20h : on n'a pas le temps d'arriver pour le ciné. Si nous avions tous les parkings souterrains disponibles, dont celui du Théâtre, pour un euro la place toute la soirée, je pense que ça débloquerait la situation pour les bistrots, les restos et les cinés, et donc que cela favoriserait une vie de centre-ville, le soir.
Mais encore faut-il une vraie publicité là-dessus. D'autant qu'actuellement, les travaux effectués à Metz n'arrangeront pas les choses : le centre va être re-perçu comme plus piéton que jamais !