Jean-Paul Anderbourg, 61 ans

samedi 10 mai 2008 09:00 par la Semaine    Metz

Après le maître, l'élève.

" Un des étudiants les plus actifs de l'époque ". C'est ainsi que Jacques Hennequin décrit son ancien élève Jean-Paul Anderbourg. Une appellation qui fait sourire l'intéressé, mais qui lui sied à merveille. Jacques était le professeur de Jean-Paul. " On a eu des débats vifs tous les deux... "

Souriant, il arrive au bureau de La Semaine avec ses anecdotes et ses souvenirs sous le bras. Des photos de manifs' où l'ancien enseignant, désormais à la retraite, est toujours au premier plan. Avec ses lunettes à monture noire, et avec sa pipe dont ses amis disaient qu'il ne l'avait jamais quittée. Il est ravi de nous parler de Mai 68 à Metz. Il était alors au Collège Littéraire Universitaire. Souvenirs, souvenirs !

" A l'époque, nous n'étions que quelques petites centaines dans ces baraquements. Il n'y avait pas grand-chose à part l'IUT en 65, la fac de Sciences en 67 et l'Enim. Quand ça a démarré, il y a tout de suite eu un écho à Metz. J'étais en 1ère année de Lettres Modernes. Quand Paris s'est vraiment enflammé, la Fac s'est mise en grève. Cependant, Mai 68 a accéléré les choses pour la construction de la fac ".
Jean-Paul Anderbourg sort de superbes photographies en noir et blanc. Elles sont " importantes pour l'histoire de Metz " explique-t-il. On y voit des manifestants portant des banderoles où il est écrit " Respect de l'Université ", et " Pour un statut d'adulte ". Le plus étonnant, c'est ce policier qui pousse tranquillement son vélo. " Maintenant, il y aurait tout un wagon de CRS. "

S'il avoue ne pas avoir été violent, il précise que les relations étaient tendues entre son groupe à l'UNEF et les maoïstes / trotskistes. " Ca restait de simples batailles verbales. On était en révolution quand même ! La particularité de Metz était d'être un mouvement non violent ".

La bataille de Strasbourg
Le vrai sujet dans ce mouvement messin, " c'est la création de l'université ". Du coup, la délégation à laquelle il appartient est envoyée à Strasbourg, pour rencontrer un comité de grève. Car à l'époque, Metz relevait de l'Académie de Strasbourg. " On est parti à quatre dans une R10 ! On cherchait le comité de grève, occupé par des situationnistes. On ne les a pas trouvés, du coup on a fini au Palais Universitaire au moment où il était attaqué par les CRS. On bloque avec des chaises, des tables etc. On monte sur un petit balcon et on balance même des dizaines et des dizaines de pierres ! Ils ont reculé... La nuit, on s'est endormis sur les tables... mais les CRS et le Préfet sont revenus pendant qu'on dormait et on s'est bien fait avoir. "

Et puis, il me parle de sa femme. Tout de suite, c'est l'étincelle dans ses yeux. Il l'a connue très tôt et s'est marié très jeune en 1969 : " Aucun de mes amis militants ne voulait venir au mariage ! Pour eux, c'était un rite de petit bourgeois ! ". Femmes et Mai 68 sont intimement liés. " Ma femme se battait aussi. Se marier pour nous, c'était synonyme d'indépendance. Et les quatre années qui suivirent furent fabuleuses. On hébergeait tout le monde, même un réfugié chilien, ou une amie qui appartenait à la Gauche Prolétarienne et qui était recherchée par la police ".
 
Au fond, pour lui, le Metz de Mai 68 est une grande histoire. " Les enseignants voulaient la création d'une vraie université. Lemoigne et Hennequin étaient très actifs ! Nous, nous étions un mouvement soudé, et défenseurs de la liberté ".
Bref, Jean-Paul Anderbourg assure que Mai 68 lui a " donné "la culture de la manifestation''. C'est ainsi qu'on s'est retrouvé devant le Palace à manifester, lors de la sortie du film de John Wayne ''les Bérets Verts''. Ce film était vu comme un hymne à l'intervention américaine au Vietnam. Du coup, on a tous été embarqués par la police ! Il  y a une logique de continuité : il faut maintenir la flamme en permanence. René Char disait ''ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience'' ".

Paradoxalement, J.-P. Anderbourg ne semble pas nostalgique. " Qu'est-ce qu'on a à commémorer franchement ? J'étais à Metz dans une petite fac. C'est sûr que je regrette de ne pas avoir été dans le gros du mouvement à Paris ".
Un conseil du soixante-huitard ? " Il ne faut jamais se satisfaire des désordres du monde. Un jour, un élève m'a dit : "Mais on a droit de rêver." ; je lui ai répondu, oui mais soyez des rêveurs éveillés... "