puissance en trompe-l’oeil ?

mardi 22 mai 2007 09:10 par Frédéric Niedzielski    

l'Allemagne

Par Frédéric Niedzielski, professeur à l'Ecole des Hautes Etudes Politiques de Paris
Berlin est une ville qui ne peut laisser indifférent. A quelques tirants d'aile de la capitale allemande,  Weimar.  Empreinte de la mémoire de Goethe et  Schiller. Au nord,  Erfurt ou plane le souvenir de Martin Luther et la légende de Faust. Au sud,  Eisenach,  où au détour  des  ruelles que la cité  doit à Napoléon, on  se remémorera, les oeuvres de Jean Sébastien Bach.Berlin au coeur d'un quadrilatère de culture, d'esprit et d'intelligence qui sous l'influence de W. Gropius vit naître au début du XXe siècle un mouvement d'architecture et de peinture sans équivalent à ce jour : le Bauhaus. Le design sous la férule de Moholy-Nagy y plonge ses racines. Aujourd'hui, Berlin a retrouvé son lustre d'antan. A l'image d'une nation réconciliée, Berlin symbolise le retour de l'Allemagne sur le devant de la scène mondiale.

Clarté scientifique
Fer de lance de l'économie européenne, les dirigeants d'outre-Rhin ont su conjurer le mauvais sort qui semblait s'attacher à la politique économique du chancelier Schröder. En République Fédérale la croissance est soutenue, le chômage et les déficits publics en baisse constante. Malgré la hausse de la TVA, la consommation et le commerce extérieur atteignent des niveaux records. Une réussite  excellemment symbolisée par Angela Merkel. Au syncrétisme sémantique de son prédécesseur, elle oppose une clarté toute empreinte de son passé de scientifique. Merkel parle clair. Elle n'a pas hésité à mettre en garde les dirigeants français sur l'euro et l'exigence d'indépendance de la banque centrale européenne. L'un et l'autre sont des " boucs émissaires " trop commodes. La monnaie européenne est une devise dure qui oblige à la compétitivité. L'Euro contraint aux réformes et aux gains de productivité. Merkel le sait. Elle le dit avec raison.  Outre-Rhin le coût salarial a baissé de 5% en un an, alors qu'il augmentait de 0,8% en France. Les budgets  publics devraient être en équilibre en 2008 alors qu'il y a deux ans, Berlin était incapable de respecter les critères de Maastricht.
La méthode pour parvenir à de tels résultats fut drastique. Les salaires ont diminué de 1,8% alors qu'ils augmentaient de 2,3% en France. De quoi satisfaire les entreprises germaniques, qui malgré la reprise de leurs investissements ne recourent plus à l'emprunt. Leurs disponibilités financières représentent près de 20% du P.I.B allemand ! le partage des revenus favorable aux entreprises  nourri l'augmentation des  exportations (+ 13% en volume en 2006). A ce propos il faut entendre  Werner Sinn président de l'institut IFO : " Les produits c'est nous qui les fabriquons, c'est nous qui les vendons ...c'est la spécialité allemande ".
Fournisseur de l'industrie mondiale, l'Allemagne profite davantage de la croissance internationale que la France ou ses autres voisins européens. Aujourd'hui la machine économique allemande crée des emplois à partir de 1% de croissance alors qu'il  faut près de 2% de création nette de richesse en France pour qu'il y ait un effet positif sur l'emploi.

Les "perdus de la prospérité"
Faut-il pour autant parler de " miracle économique " ? Rien n'est moins sûr. La République Fédérale n'est pas le paradigme vertueux de l'économie de marché. Selon les chercheurs de la fondation Friedrich Ebert près de 8% de la population, soit plus de 6 millions de personnes font parti des " perdus de la prospérité ". Un groupe marqué par l'exclusion sociale, l'échec professionnel et les difficultés financières. Pour la première fois depuis 1968 le solde migratoire allemand est négatif : 145000 ressortissants d'outre-Rhin ont quitté leur pays, 128000 sont revenus ! Plus grave : la moitié d'entre eux sont des hommes et des femmes de moins de 35 ans,  souvent très qualifiés. " Le pays se vide de son sang " titrait, il y a peu, la revue Manager Magazin. La natalité est en recul constant.
Au niveau international la politique d'Angela Merkel n'est pas exempte de paradoxes et de contradictions : elle prône la sécurité collective en matière d'approvisionnement énergétique, mais n'en cherche pas moins un accord bilatéral avec Poutine (qu'elle n'hésite pas à dénoncer par ailleurs) ; elle est favorable à l'énergie nucléaire mais, "Grande Coalition" oblige, elle préfère parler d'énergies renouvelables. Elle s'appuie sur le dynamisme de la République Fédérale, pour maintenir le leadership germanique envers et contre tous autres intérêts, fussent-ils européens. Le paradoxe allemand en somme. L'année 2007 ne tardera pas à nous dire si notre voisin d'outre-Rhin est une puissance en trompe-l'œil.