la Semaine & l’Europe [1]

mercredi 18 juin 2008 10:00 par JPJ & Frédéric Niedzielski    Europe

A compter du 1er juillet la France présidera, pour six mois aux destinées de l’Europe. Quels sont les enjeux de cette présidence ? Quelle est l’influence de l’Europe sur notre vie quotidienne ? En quoi le traité de Lisbonne va-t-il changer le quotidien de 500 millions d’Européens, de 60 millions de français ? Durant plus d’un mois, nous nous proposons de vous dire l’Europe.
Dire l’Europe, c’est l’expliquer, la comprendre. De quelle façon s’articulent les institutions ? Qui décide, comment et de quoi ? Un pari audacieux peut-être, mais nécessaire...

[1] Le jour où tout a débuté : le 25 mars 1957

L’histoire de l’Europe n’est pas, loin s’en faut, celle d’un long fleuve paisible. Une histoire que l’on croyait achevée en 2004 avec l’élargissement aux dix pays du  centre Europe. Une histoire qui se  poursuit trois années plus tard, en 2007, avec l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie. Une histoire enfin, qui envisage d’autres horizons, et porte les noms de Croatie, Monténégro, Macédoine, Serbie, Turquie… Mais comment cette histoire a-t-elle commencé ?

Quand cesse le fracas des armes le 8 mai 1945 l’Europe n’existe plus. Certains y voient la fin  d’un cycle commencé en 1618 avec la guerre de Trente Ans. Un temps de l’histoire marqué du bruit sourd de l’airain. Plus de dix millions de soldats sont morts lors des guerres de Hollande. Quelques millions lors des guerres de succession d’Espagne et d’Autriche,  sous les règnes de Louis XIV, XV et XVI. Sous
la révolution et l’Empire, naissent les  « guerres de masse » qui mettent l’Europe à feu et à sang . Au total plus de trente-deux millions de soldats européens ont trouvé la morts sur les champs de bataille entre 1618 et 1945. La folie des hommes est poussée à son paroxysme avec le génocide des juifs et le massacre des populations soviétiques par la Wehrmacht. Dix millions de morts ! Soixante-douze pour cent de la population juive sont décimés et trente millions d’Européens sont ballottés d’un endroit à l’autre du continent entre 1939 et 1945.

une banlieue soumise
A la fin de la Seconde Guerre mondiale l’Europe n’existe plus. Elle est une banlieue soumise aux deux vainqueurs que sont les Etats-Unis et l’Union soviétique. L’Europe humaniste de la Renaissance, des Lumières, des droits de l’homme et  du citoyen a engendré des monstres : l’horrible boucherie de 1914-1918, l’ivresse meurtrière du nazisme de 1939-1945, le goulag stalinien.

En 1945 il s’agit d’empêcher l’Europe de nuire. Il y eut certes les accords de Yalta sitôt signés, sitôt déchirés. Les pays d’Europe centrale et balkanique sont mis sous tutelle soviétique. L’Allemagne est divisée en deux. A cela les nations de l’Ouest européen ne peuvent rien. Epuisées et ruinées par la guerre elles seraient une proie facile pour Staline si Washington n’avait décidé de se poser en chef de file du « monde libre » et de faire de l’Europe de l’Ouest sa forteresse avancée contre le communisme. La petite Europe, l’Europe des années cinquante a été portée sur les fonts baptismaux par les Américains pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec le projet politique d’une « Europe européenne » telle qu’envisagée au congrès de La Haye en 1948 par huit cent personnalités d’Europe occidentale.

la parole de Schuman
Advint le 9 mai 1950. Ce jour-là aux alentours de dix-huit heures Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Paul Reynaud fait son entrée au salon de l’Horloge au Quai d’Orsay. Les journalistes présents sont loin de s’attendre à entendre de parler d’une Europe de la réconciliation, et de l’entente entre la France et l’Allemagne. Et pourtant ! Ecoutons Schuman : « Messieurs, il n’est plus question de vaines paroles, mais d’un acte, d’un acte hardi, d’un acte constructif…La France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne » Cinq ans après de conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité ! Le 9 mai 1950 R. Schuman renoue avec l’espoir d’une Europe sans guerres, une Europe incarnée avant lui par l’abbé de Saint-Pierre et son « projet de paix perpétuelle ».L’Europe de Kant, de Hugo, d’Aristide Briand…cette Europe, celle dans laquelle nous vivons, est née le 25 mars 1957, au cœur de Rome à l’occasion de la signature des Traités de Rome.

Le premier traité institue une Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), le second une Communauté économique européenne (CEE) . A Rome, la France est représentée par Maurice Faure secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, Jean Monnet n’a de cesse de harceler les gouvernements successifs pour poursuivre dans la voix de l’intégration.

De novembre 1956 à janvier 1957, le président du Conseil Guy Mollet poursuit une double négociation. La première avec l’Allemagne du chancelier Adenauer. Pour la France il s’agit  d’obtenir, notamment, que les produits agricoles soient intégrés dans le futur marché commun, et qu’une période transitoire soit prévue pour le démantèlement des tarifs douaniers industriels. La seconde négociation a lieu en  France. Avec les milieux économiques, d’une part : il faut les convaincre que la fin du protectionnisme est une chance pour notre industrie. Avec la majorité politique (socialistes, radicaux, démocrates-chrétiens) d’autre part, afin d’assurer sa cohésion lors des discussions parlementaires. Alors que le  sentiment pro-européen est vif en Allemagne, en Italie et au Benelux la France est divisée.

331 voix contre 210
Tous les regards sont donc braqués sur Paris lorsque le 15 janvier 1957, le gouvernement Mollet présente à la Chambre les projets de traités. Le débat fait rage. Le parti communiste considère le traité « antisoviétique » et « antinational » qui « réduit la France à n’être plus qu’une province ». Les 17 députés gaullistes s’insurgent. Pierre Mendès France s’inquiète : « La France connaît de lourds handicaps dans la compétition internationale. Elle supporte des charges que les autres n’ont pas : militaires, sociales, d’Outre-mer… » et d’ajouter, « N’oublions pas la puissance d’expansion de l’Allemagne, ses ressources, son dynamisme. Nous aurons à subir une concurrence redoutable » et « une technocratie internationale ».
Mais rien n’y fait. Le 22 janvier 1957, par 331 voix contre 210 une majorité vote pour l’adoption des traités de Rome. Ont voté « Oui » la SFIO, le MRP, la plupart des radicaux à l’exception de Mendès France et l’UDSR le parti de René Pleven et de  François Mitterrand. Ont voté « Non », les communistes, les poujadistes entrés au Parlement en 1956. Trente députés, dont Edgard Faure, se sont abstenus. Les 17 députés gaullistes n’ont pas pris part au vote.

En 1957 et dans les années qui vont suivre des deux traités celui dont on attend le plus est l’Euratom. Il sonne comme un symbole des temps nouveaux : la promesse d’une énergie abondante, porteuse d’une croissance sans précédent. Quant au traité  CEE il laisse sceptique tant son architecture institutionnelle semble complexe. Et pourtant, le 25 mars 1957 l’Europe comtemporaine venait de naître dans la salle des Horaces et des Curiaces  d’un palais de Renaissance au cœur du Capitole de la… ville éternelle

[2] Conseil européen : là où tout se décide
Témoignage rencontre avec Nathalie Griesbeck