avec ses tubes en carton

jeudi 12 juin 2008 08:00 par JPJ    Metz

Dans le petit amphithéâtre de l'Ecole Supérieure des Arts de Metz en cette fin de vendredi après-midi, comme le matin même dans la bulle en accent circonflexe de la maison du Projet Pompidou Metz, Shigeru Ban trace à grands traits d'artiste puis à larges touches humaines ce qu'est sa conception de l'architecture. Plus précisément du devoir des architectes.  « Historiquement les architectes ont souvent travaillé pour les privilégiés et les riches, imaginant palais, résidences et monuments. Même dans les équipements  culturels, on exprimait inconsciemment une volonté de créer un écrin pour des initiés... Moi je crois que nous devons travailler pour tout le monde, au service de tout le monde. Que notre rôle est de bâtir des ouvertures plutôt que des écrans. Mais aussi et surtout, que nous avons le devoir de travailler pour ceux qui sont des victimes ».
Econome de ses  gestes, s'exprimant dans un anglais sobre que semble élaguer encore son accent asiatique,  traduit pour le public sans trop de servilité par l'un de ses collaborateurs, Shigeru Ban apparait à la fois petit homme tout en noir et véritable maître dans toute sa dimension. L'homme est loin d'être un naïf. Plutôt roublard même parfois, lorsqu'il s'agit de convaincre et il le reconnaît lui-même. C'est ainsi qu'il avoue que son hymne à l'Hexagone, lié au maillage du toit en « chapeau chinois » du centre Pompidou Metz aurait pu être remplacé « par une autre histoire tout aussi acceptable » s'il avait construit ce centre  en Israël par exemple.
Peu importe. Ce jour-là il nous arrivait de Chine et allait y retourner en liaison directe avec le séisme des dernières semaines. « Ce ne sont pas les tremblements de terre qui tuent. Du moins pas eux essentiellement. Ce sont les bâtiments qui ont été édifiés... et qui s'effondrent. Les architectes sont donc forcément concernés ». Par ce qu'ils ont fait comme par ce qu'ils n'ont pas fait, semble-t-il dire. «  C'est sur ces terrains là que nous devons intervenir,  utiliser en urgence comme à plus long terme, notre expérience et notre savoir faire ».
L'évocation des premiers villages pour refugiés dans lesquels il était intervenu en Afrique ; l'utilisation des tubes en carton pour les structures légères  permettant de lutter à la fois contre la déforestation sauvage et le trafic de métaux ; la volonté de rendre aux hommes la dignité de l'habitat le plus vite possible .... Shigeru Ban parle, ses mots résonnent et ses images s'enchaînent sur l'écran, créant une nouvelle dimension d'échange, une proximité constructive.
Des mots et des images qui, par ricochet géographique, par communion humaine rendent plus douloureux encore  ceux découverts la  veille sur nos écrans de télévision. Des familles chinoises, des mères surtout qui pleurent et expriment leur colère vis-à-vis des responsables (ou irresponsables) locaux ayant fait d'écoles bâclées autant de tombeaux collectifs pour leurs enfants. A ces mamans l'administration chinoise promet de faciliter l'adoption ou d'accorder une dérogation pour qu'elles puissent avoir un deuxième enfant.
Rien de neuf ou que nous ne sachions déjà sur la philosophie de ces propos démographiquement régulateurs. Ils  ont même dû nous sembler mondialement raisonnables à un moment. Mais ce soir-là ils étaient porteurs d'une froide mathématique de remplacement et d'une tristesse aussi épouvantable qu'un tremblement de terre.

retrouver les précédents édito ...

outous les éditos ...