la Fabrique des sentiments

mercredi 13 février 2008 18:00 par Fernand-Joseph Meyer    

de Jean-Marc Moutout
avec Elsa Zylberstein, Bruno Putzulu, Jacques Bonnafé, Josiane Stoleru, Hiam Abbass, Marceline Loridan-Ivens.

C’est un club de rencontres. En clair, il s’agit de « speed dating »,  variante actuelle de la carte de Tendre. Du hasard forcé, un peu d’art  de la conversation, des échanges de téléphones, un rendez-vous et plus  si affinités. « Sept femmes, sept hommes, sept minutes pour se plaire...  C’est simple, c’est sympa ! » dit l’animatrice du club. Eloïse, 35 ans  et clerc de notaire, tente  ainsi de surmonter sa solitude. Deux  prétendants l’intéressent : Jean-Luc, avocat charmeur, et André, timide  et cynique revenu de tout.

Eloïse a tout pour plaire – même un  appartement design haut de gamme. Ses amis lui paraissent de plus en  plus étranges, ils parlent d’abord de parts de marché et de désirs  manufacturés... Elle a aussi ses blessures intimes. Des vertiges qui  l’intriguent, des analyses médicales qui l’angoissent. Avec Jean-Luc,  elle se fourvoie. Avec André, des perspectives s’ouvrent...

On est loin des comédies franco-françaises pour trentenaires  essoufflés. On est plus proche d’une fable sociale assortie de  portraits percutants et d’un supplément d’ordre fantastique. Jean-Marc  Moutot nous en a déjà donné un avant-goût avec « Violence des échanges  en milieu tempéré », son premier film. Le titre reste valable avec « La  Fabrique des sentiments ». Sous la violence figée – design, gestion et  marketing – affleurent détresse, nostalgie et conformisme. L’épilogue  enfonce le clou. La normalité du noyau familial lové dans son joli  pavillon et synchrone avec le printemps est faussée par l’internet qui  fonctionne comme un détroit ouvert sur des libidos buissonnières encore  plus normatives. Jean-Marc Moutout  développe et adapte la carte de  Tendre pour mieux nous raconter notre siècle où vitesse, efficacité et  conformisme se nichent même dans les sentiments. Sous une apparence  froide, le cinéaste réussit à nous capter et à nous émouvoir plus qu’il  ne faut. On n’en est pas pour autant chez Michel Houellebecq ou  Frédéric Beigbeder. Jean-Marc Moutout, analyste remarquable, est épaulé  par des comédiens beaucoup trop rares sur nos écrans. Bruno Putzulu et  Jacques Bonnafé déclinent avec élégance quelques avatars de la  séduction. Elsa Zylberstein, elle, porte tout le film et nous  transporte sans turbulences dans l’univers policé d’une jeune femme  bien sous tous rapports et capable d’extravagances en tous genres.