femmes au Pays du fer

dimanche 3 août 2008 09:20 par la Semaine Numérique    Metz

Pour ne pas qu'on les oublie...

Elles étaient ingénieurs, cantinières ou mères au foyer. Elles ont participé ou simplement vécu les mines et l'industrie. Elles témoignent aujourd'hui de leurs rôles oubliés. Ce sont les femmes du pays du fer qu'une exposition met actuellement en lumière au haut-fourneau U4 d'Uckange. A voir encore pendant trois mois.

La mine. Les hauts-fourneaux. Deux éléments qui appartiennent au patrimoine de la Lorraine. Deux industries qui ont fait vivre et fait connaître ses plus belles heures à un territoire qui essaye de faire fi de son passé, sans pour autant ne jamais vraiment l'oublier. En se plongeant dans les méandres de cette histoire, les chercheurs de l'université de Metz et les représentants de la communauté d'agglomération du Val de Fensch ne s'attendaient pas à vivre une telle aventure. Du vécu, des témoignages, ils en ont trouvé.
 
Nombre d'anciens de la vallée ayant un passé qui touche de loin ou plus souvent de très près à la sidérurgie et à la mine. Mais des histoires d'hommes. Alors, la part des femmes dans tout cela ? Leurs témoignages ? Le rôle qu'elles ont joué ? Il a fallu gratter plus profondément pour l'obtenir. Aller le chercher à la source. Débusquer le besoin de se souvenir derrière la pudeur...

Contactées par Anne Flucklinger qui a mis en place l'exposition, Martine Santoro et Christine Pitek ont toutes deux répondu favorablement à la sollicitation de la communauté d'agglomération. « Pour se souvenir » disent-elles d'une seule voix. Pour ne pas oublier peut-être tout simplement.

Leurs parcours sont différents. L'une a connu l'univers des mines, l'autre celui des hauts-fourneaux. Elles ne sont pas non plus de la même génération. Ceci explique peut-être cela. Mais toutes deux ont vécu la réalité des immigrés de la Fensch, Italiens ou Polonais, et le besoin d'intégrer le travail à leur univers d'enfant. « Je suis une fille de la vallée » se lance Martine. « Née à Algrange, habitante du Konacker, les hauts-fourneaux ont constitué mon paysage d'enfant. A Knutange, leurs fantômes me hantent toujours ». Née en 1955, Martine Santoro est issue d'une famille au passé de militant syndical. C'est d'ailleurs ce qui coûtera sa place à sa mère, tour à tour pontière, trieuse de tôle et cantinière.

à la recherche du passé
« Je l'ai appris de ma tante qui a 80 ans lorsque nous avons témoigné pour l'exposition. Ma mère m'avait toujours dit qu'elle avait arrêté de travailler pour s'occuper de moi. En fait, elle avait été licenciée pour fait syndical deux ans plus tôt. Elle avait sa fierté ». A ses 14 ans, son père, ajusteur à l'usine et immigré italien, décède d'une angine de poitrine. Veuve, sa mère doit redoubler d'efforts pour élever ses enfants. Sa tante est envoyée en Allemagne avec des milliers de « malgré elles ». La réalité l'extirpe de ses rêveries d'enfant. « Jusque-là, le travail avait un côté rassurant. C'était un univers plein de magie. Ma mère me racontait les différentes couleurs que prenait le ciel avec les fumées d'usine. Et puis il y avait les odeurs. Les quartiers ouvriers et leurs jardins. Quand on a commencé à démolir, j'ai ressenti une absence. Aujourd'hui, les hauts-fourneaux me manquent ».

Dans le fauteuil voisin, attentive au discours de sa cadette, Christine Pitek se repasse le film de sa propre histoire. Elle aussi était fille d'immigrés. Et elle aussi a perdu son père trop jeune. « Il était mineur à Moyeuvre-Grande et comme beaucoup d'autres, il a eu un accident. Un éboulement lui a sectionné la jambe sous le genou. Il est tombé à la renverse. Sa tête a heurté les rails. Le coup du lapin. J'avais 13 ans ». De son père, Christine conserve des souvenirs heureux. « Nous étions une famille polonaise typique avec pour dicton Dieu, patrie, honneur. Ce que j'adorais, c'était les soirées d'hiver. Il n'y avait pas le travail des bêtes et des champs. On jouait, on apprenait à lire le polonais dans un missel que nous n'avions pas enterré avec le reste dans la cave quand les allemands sont arrivés ».

recréer la grande histoire
Des souvenirs plus durs aussi parfois. « Mon père n'a jamais levé la main sur moi mais quand ça n'allait pas, je devais m'agenouiller sur des poids jusqu'à ce que je connaisse par coeur la page de mon missel. Ma mère et lui étaient ouverts à la communauté, toujours prêts à aider ». De cette éducation et de ses années de scoutisme polonais, Christine conservera l'ouverture aux autres qu'elle mettra en pratique dans les associations polonaises de la vallée.

Pour l'exposition, elle a prêté à l'agglomération un feuillet souvenir de son père. Distribué, selon la tradition polonaise, lors de la messe donnée six mois après son décès. « Pour témoigner de cette époque qu'on oublie si vite » explique simplement Christine. « Car c'est en mettant à jour autant de petites histoires qu'au final, on recrée la grande » complète Martine. Des petites histoires à découvrir encore pendant trois mois au Parc du haut-fourneau U4 d'Uckange avant qu'elles ne s'exportent à la bibliothèque universitaire de Metz. Juste pour raconter, même hors de ses frontières, le passé des femmes de la vallée du fer.